Émile Zola ~ Discours à la séance annuelle de la société protectrice des animaux



par : Émile Zola

Mesdames, Messieurs,

Je n’ai rien d’administratif, et M. le Ministre de l’Instruction publique, qui m’a fait l’honneur de me déléguer près de vous, voudra bien que je le représente en simple ami des bêtes. Je n’ai pas d’autre raison pour prendre ici la parole, si ce n’est que je les aime, et j’imagine que cela ne peut qu’honorer tout le monde, même le gouvernement d’un grand pays, que de dire publiquement qu’on les aime.

D’ailleurs, cette tendresse fraternelle que j’ai pour elles ne me donne nulle vanité, car je n’ai jamais fait aucun effort pour l’avoir. Je les ai aimées tout petit et j’ai grandi en les aimant. Il est très certain que cette tendresse est née avec moi, si active, que je n’ai pas même eu le mérite de l’acquérir et de la cultiver. Ma seule surprise est de me trouver parmi vous si tard, à cinquante-six ans, lorsque, depuis trente années, je n’ai pas écrit une œuvre sans y mettre un bête aimée, sans y parler de mes chères bêtes, dans toute l’effusion de mon cœur. La rencontre fatale a été bien longue à se produire, mais enfin me voici donc en famille.

On dit qu’il y a des gens qui n’aiment pas les bêtes. Moi-même j’ai cru parfois rencontrer de ces gens-là. Mais j’ai réfléchi, j’ai fini par me dire que je me trompais. La vérité est que tout le monde aime les bêtes ; seulement, il y a des gens qui ne savent pas qu’ils les aiment. Vous imaginez-vous la nature sans bêtes, une prairie sans insectes, un bois sans oiseaux, les monts et les plaines sans êtres vivants ? Représentez-vous un instant l’homme seul, et tout de suite quel immense désert, quel silence, quelle immobilité, quelle tristesse affreuse! Ne vous est-il pas arrivé de traverser quelque lande maudite d’où la vie des bêtes s’est retirée, où l’on n’entend ni un chant, ni un cri, ni le frôlement d’un corps, ni le palpitement d’une aile? Quelle désolation, comme le cœur se serre, comme on hâte le pas, comme on se sent mourir d’être seul, de ne plus avoir autour de soi la chaleur des bêtes, l’enveloppement de la grande famille vivante ! Et qui donc peut dire alors qu’il n’aime pas les bêtes, puisqu’il a besoin d’elles pour ne pas se sentir seul, terrifié et désespéré ?

Puis, ces bêtes, nous les avons faites de notre intimité. Vous qui prétendez ne pas les aimer, voulez-vous donc que le cheval retourne à l’état sauvage, que nos maisons ne soient plus peuplées du chat et du chien, que nous fermions nos basses-cours, nos étables et nos bergeries ? Essayez donc de ne vivre qu’entre hommes, maintenant que vous avez admis les bêtes au foyer, et vous verrez tout de suite que vous coupez dans votre vie en pleine chair, que ce sont des parents que vous retranchez. Elles sont devenues de la famille, on ne pourrait les supprimer sans arracher un peu de votre cœur. El, je le répète, vous pouvez croire que vous ne les aimez pas, parce qu’elles sont là, parce que vous jouissez d’elles sans vous en rendre compte ; mais, si elles n’y étaient plus, vous les regretteriez bien vite et vous éprouveriez un tel vide, que vous les redemanderiez à mains jointes.

Aimons-les, parce qu’elles sont l’ébauche, le tâtonnement, l’essai d’où nous sommes sortis, avec notre perfection relative ; aimons-les parce que s’il y a autre chose en nous, elles n’ont en elles rien qui ne soit nôtre ; aimons-les, parce que, comme nous, elles naissent, souffrent et meurent ; aimons-les, parce qu’elles sont nos sœurs cadettes, infirmes et inachevées, sans langage pour dire leurs maux, sans raisonnement pour utiliser leurs dons ; aimons-les, parce que nous sommes les plus intelligents, ce qui nous a rendus les plus forts; aimons-les, au nom de la fraternité et de la justice, pour honorer en elles la création, pour respecter l’œuvre de vie et faire triompher notre sang, le sang rouge qui est le même dans leurs veines et dans les nôtres.

Et, je l’ai dit un jour, votre besogne est sainte, vous qui vous êtes donné la mission de les protéger, par haine de la souffrance. C’est à la souffrance qu’il faut déclarer la guerre, et vous parlez un langage universel, lorsque vous criez pitié et justice pour les bêtes. D’un bout du monde à l’autre, des sociétés sœurs peuvent se fonder, vous entendre et vous répondre. Que tous les peuples commencent donc par s’unir pour qu’il ne soit plus permis de martyriser un cheval ou un chien, et les pauvres hommes honteux et las d’aggraver eux-mêmes leur misère, en arriveront peut-être à ne plus se dévorer entre eux!

[Paris, 25 mai 1896] o.c. t. XIV pp. 841-2 « Nouvelle Campagne »

Édité dans le but de mieux connaître et aimer Émile Zola

www.emilezola.ca

Voici un très joli petit texte que j'ai découvert par hasard et qui devrait plaire aux plus jeunes comme aux lecteurs un peu plus agés, en particulier à ceux qui comme moi sont amateurs de chats! Il s'agit d'un court texte méconnu d'Emile Zola publié par Lire c'est partir.

Cette nouvelle reprend un thème classique: celui du chat d'appartement qui, malgré le confort et la sécurité prodigués par un foyer aimant, rêve de découvrir la liberté des toits et d'une vie sans contraintes... Une seconde nouvelle vient compléter le recueil en mettant en remplaçant le personnage du chat par celui d'un chien. Un petit texte très agréable à lire, qui m'a donné de l'inspiration pour la prochaine rentrée. J'espère que mes élèves seront aussi enthousiastes que moi! Source : inlibroveritas.canalblog.com


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